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L'écoute de "Love" (rappel ici) a ravivé notre soif de Beatles. Il fallait faire aussi un peu de place sur les étagères. Du coup, Philippe dépoussière ses disques et se rappelle qu'en 2003 EMI mettait sur le marché une relecture du dernier album des Beatles : "LET IT BE".
Déjà, à l'époque, j'avais quelques doutes sur l'intérêt d’un tel projet, sinon évidemment la possibilité pour la maison de disque de relancer la pompe à fric. D’autant que le CD « Anthology 3 » nous offrait une bonne dizaine d’extraits de ces sessions dont un certain nombre d’inédits eux aussi franchement dépouillés.
Mais un inconditionnel peut-il faire la fine bouche sur un tout ce qui touche aux Beatles ? La réponse est dans la question.
Petit rappel historique
Nous sommes en janvier 1969. Les Beatles ne font plus de concert depuis 3 ans, ils ont touché à peu près à tout - cinéma, dessin animé, drogue, psychédélisme, ont exploré tous les domaines musicaux et ont pondu un double album (appelé en France "Le Double Blanc") où chacun pouvait s'exprimer sans contrainte aucune (ce qui donne un album aussi bancal que riche et bien sûr indispensable). Qu'est ce qui peut les motiver à retourner en studio ? Rien ! En plus y'a John qui a Yoko et de grosses envies d'émancipation, Paul vient de rencontrer Linda, George qui a Hare Krisna et Ringo sa cabane au fond du jardin. Pourquoi diable s'enfermer dans un studio ?
Le problème c'est que Paul, lui, c'est un actif. Sa carrière le démontre, y'a pas à dire, il peut pas rester sans rien faire. Il se lève le matin, allez hop, on écrit une petite mélodie. A midi, en mettant le couvert, on commence à avoir des paroles et le soir on est en studio à écrire les arrangements. Il est comme ça, Paul ! Donc Paul il voudrait bien retourner sur scène mais les autres (surtout John et George) ils veulent pas. L'idée lui vient alors de proposer de faire un film documentaire sur le groupe au travail et, pour conclure, un mini concert sur le toit d'Apple. "bof, ouais" répondent les autres. "Super" répond Paul "j'ai déjà réservé le studio !". Evidemment je suis pas sûr que ce sont les phrases exactes prononcées mais l'esprit est là.
C'est ainsi que les Beatles investissent un grand studio de cinéma (Twickenham Film Studios) glacial et qu’ils se mettent au travail sous l’enthousiasme inébranlable de Paul McCartney et le regard d’une équipe de cameramen. Pendant tout le mois de janvier, le groupe va répéter et, enfin, le 30 janvier exécuter quelques titres sur le toit d'Apple devant les badauds incrédules. La petite prestation sera d'ailleurs interrompue par une intervention policière. Ce sera la dernière apparition musicale du groupe.
Peu satisfait du résultat, on abandonne les bandes et on retourne en studio en été, cette fois sous la férule de George Martin avec qui on ne rigole pas (interdit de fumer le moindre pétard en studio !). Ca donnera l'excellent "Abbey Road", la quintessence de l’art Beatles.
EMI, la maison de disques, confie tout de même à Glyn Johns le soin de tirer quelque chose des séances de janvier que l'on va communément appeler les "Get Back Sessions". Glyn Johns, qui n’est tout de même pas de premier venu, puisqu’en plus d’être l’ingénieur du son des séances a déjà inscrit à son palmarès les Who, les Stones et Led Zeppelin pour ne citer que les plus grands, va proposer à EMI deux projets de disques, tous deux refusés.
Début 1970. C'est un peu la guerre froide au sein des Beatles. La gestion des affaires des Beatles est au cœur de la discorde. Ca sent le procès, tout ça. De plus, chacun est sur des projets solo. Harrison va sortir le triple "All Things Must Pass" McCartney l'album éponyme, John forme son « Plastic Ono Band » pour un premier album et Ringo va publier carrément deux disques, « Beaucoup Of Blue » avec la crème de Nashville et « Sentimental Journey » album de reprises rétro pour faire plaisir à sa maman (authentique). Il est clair que personne ne veut retourner à l'usine Beatles. EMI, sans doute bien habitué aux recettes des ventes du groupe, aimerait bien sortir quelque chose et repense aux "Get Back Sessions". Mais bon c'est trop brut, pas exploitable en l'état. C'est alors qu'émerge un nom magique "Phil Spector" auquel on demande de travailler sur les bandes et d'en faire un album digne de ce nom.
Phil Spector, connu comme producteur de Rhythm&Blues, est l'inventeur du "Wall of Sound" son fameux "Mur du son" qui consiste à empiler comme des briques une première couche rythmique puis des cuivres, puis des violons, puis des chœurs etc. C'est un peu ce qu'il va faire sur ce projet. je dis un peu parce que, s'il a effectivement appliqué la méthode dans "The Long And Winding Road" (occasionnant des insomnies rageuses à Paul McCartney), on peut dire aussi que certains titres on été quand même préservés, faut être honnête. C'est ainsi que sortira, le 8 mai 1970, l'album "Let It Be".
Let It Be Naked
33 ans plus tard, alors qu'EMI nous a habitué à toutes sortes de choses concernant les Beatles (je pense en particulier aux 3 doubles CD "Anthology" mais aussi, au « Live At The BBC » qui contient des enregistrements de la 1ère époque 1962-1965) voilà qu'on nous annonce un Let It Be Naked. C'est à dire sans Spector mais aussi sans George Martin. On ne sait donc pas trop à quoi s'attendre.
L'ordre des titres est complètement chamboulé, "Dit It" et "Maggie Mae" passant carrément à la trappe . Bon, en même temps, c'est un maigre dommage. D'autant que réapparaît "Don't Let Me Down"
En fait l'album commence très fort et joue les coudées franches avec "Get Back". Et là, d'emblée, surprise ! Un son d'une rare fraîcheur nous parvient des enceintes. Merci la technique ! Mais ce qui étonne le plus, c'est le côté brut, "roots" qui s'en dégage. Et cette impression ne va plus me quitter durant les 35 minutes que dure l'album. C'est les Beatles mais comme on ne les a jamais entendu, qui jouent sur un fil au dessus du ravin sans protection. C’est ça qui est exceptionnel et qui rend l’entreprise particulièrement émouvante.
"The Long And Winding Road" redevient une simple ballade efficace reléguant la guimauve indigeste de Phil Spector aux oubliettes.
Et puis, tout de même, une mention toute particulière à Billy Preston, aux claviers (surtout du Fender Rhodes) et qui fait swinguer les notes comme Ray Charles et Stevie Wonder réunis. Il est omniprésent, Billy Preston. Il prend des solos sans arrêts, il fait danser le tempo et détend considérablement l’atmosphère. Sur le DVD Anthology, on entend l’un des Beatles dire que dès que Billy Preston a rejoint le groupe, les Beatles ont fait des efforts pour être plus aimables, pour jouer mieux etc.
Curieusement, on peut aussi penser aux grands albums des Stones comme "Sticky Fingers" ou "Beggar's Banquet" pour le côté juste produit au minimum pour conserver la brutalité de la musique. Sauf que là, y’a même pas d’overdub, juste le groupe qui joue comme ça, d’une seule traite. Bon faut quand même relativiser : il paraîtrait qu’il y aurait plus de 40 heures de bandes. Ca donne quand même du choix pour sélectionner 35 minutes du meilleur cru !
Tandis que Spector « enjolivait » à sa manière la matière première, tandis que l’Anthologie nous livrait des titres passionnants mais aussi parfois incohérents, « Let It Be naked » nous offre la concrétisation du projet initial des Beatles : montrer, sans artifice, le meilleur d’un groupe au travail. De ce point de vue on peut dire que la boucle est bouclée.
"Juste un bon petit groupe de Rock'n'Roll" va déclarer malicieusement McCartney, interviewé à ce propos.
Petits commentaires sur le CD lui-même :
Le livret est bien illustré mais ne comprend que des restitutions de dialogues entre les artistes. C’est bien mais incomplet. J’aurais bien apprécié que soient précisés les dates des enregistrements, les détails sur les prises comme c’était le cas pour les Anthologies.
Un second CD, intitulé « Fly On The Wall » est, quant à lui, parfaitement indigeste. Il s’agit d’un assemblage de conversations mêlées d’extraits de morceaux (dépassant rarement les 35 secondes) Absolument navrant.
Nous éplucherons très prochainement chacune des chansons des sessions "Let It Be".
Philippe