THE BLACK CROWES
WARPAINT
2008 (Silver Arow records)
On dirait le sud...
Un peu d’histoire
Il fut une époque où le rock était géographique. Sur l’échiquier international, le roi était bien sûr à Memphis (Le King) mais c’est tout de même la reine qui détenait la plus haute autorité. Et la reine, mesdames, messieurs, elle n’est pas ailleurs qu’en Angleterre. Avec les Beatles, les Stones, Led Zeppelin, les Who, Pink Floyd et j’en passe, la Grande Bretagne était souveraine et impériale. En Europe, on parlait éventuellement aussi du rock allemand (Can, Amon Düll, Krafwerk) et on rigolait du rock français, quand on osait aborder le sujet (en France on excellait dans un autre domaine : la pop avec le pygmalion Gainsbourg et nos chefs d’orchestre tels que Michel Colombier, Jean-Claude Vannier, fondateurs sans le savoir de l’Easy Listening).
De l’autre côté de l’Atlantique, tout ou presque se passe aux Etats-Unis. La géographie est simple : Nord, sud, est, ouest. Chaque point cardinal a sa spécificité. Au nord, l’influence de Motown et du bruit des usines automobiles : J. Geils Band, Stooges, Bob Seger. A l’est, New-York avec le Velvet Underground, les New-York Dolls, les Cramps tandis qu’à l’ouest, sur la côte californienne gorgée de soleil, les Beach Boy, les Doors, suivis des Eagles, Doobie Brothers, Grateful Dead…
Quand au sud, il mettra du temps à trouver sa place. Le sud c’est le blues, drainé sur le Mississipi, c’est aussi la soul de Memphis ou encore le jazz de la nouvelle Orléans.
Il faudra des explorateurs venus d’ailleurs, comme Jerry Wexler (du label Atlantic) et Al Kooper (du label Columbia) pour révéler les jeunes chevelus qui, dans une terre particulièrement conservatrice, ont osé le mariage du blues (noir) avec la country (blanche) dans un style moderne (le rock). Ce seront les Allman Brothers Band, Lynyrd Skynyrd, les Outlaws, Atlanta Rhythm Section ou dans le registre texan les ZZ Top.
Aujourd’hui qui se souvient de ces groupes ? Qui parle encore de « rock sudiste » ? Quelques nostalgiques has been qui continuent à suivre les sorties d’album de buveurs de bière à la barbe blanchie, coiffés de Stetson et égrenant sur scène les vieilles scies d’antan.
Laid Back
Et pourtant, le style sudiste vaut tellement mieux ! Une musique gorgée de chaleur, mêlant avec bonheur toutes les influences sans distinction d’origines raciales. On y sent la moiteur du bayou, le soleil sur les champs de coton tandis que, sur une guitare, un homme gratouille paresseusement un vieux blues. JJ Cale incarne parfaitement ce style laid back qu’adoptera Eric Clapton dès 1973 avec 461 Ocean Boulevard.
Mais les guitares savent se faire plus incisives lorsqu’il s’agit de chauffer à blanc un boogie et le sud sera le champion des groupes à deux, voire trois guitaristes solistes mêlant leurs instruments dans de torrides batailles.
The Black Crowes (nous y arrivons)
C’est parce que ce disque évoque furieusement le southern rock que cette longue introduction m’a semblé nécessaire. A dire vrai, je découvre tout juste The Black Crowes (Les Corbeaux Noirs) avec ce « Warpaint ». Le groupe n’est pourtant pas de la première jeunesse et son association exceptionnelle avec Jimmy Page (Led Zeppelin) en 2000 aurait dû éveiller ma curiosité. Formé en 1984 à Atlanta (Georgie), il sortira son tout premier album en 1990 et connaîtra, avec le second « The Southern Harmony and Musical Companion » en 1992, un très grand succès commercial aux USA. La carrière du groupe évolue ensuite entre des hauts et des bas, se séparant en 2002 pour refaire surface en 2005 et produire aujourd’hui ce nouvel opus, salué comme un retour en force.
Les frères Robinson, Chris (Chant) et Rich (guitare), leaders du groupe, pratiquent une musique « old school » qui n’évoque pas seulement le sud mais aussi le rock anglais de la fin des années 60. Prenons par exemple « Wee Who See The Deep » avec son riff qui semble tout droit sorti d’un album de Free. Sur d’autres plages on songera aux Rolling Stones tandis que la voix de Chris Robinson possède un timbre proche de celui de Rod Stewart.
Avec toutes ces références, qui reste-t-il aux Black Crowes ? On l’a compris, ce n’est pas de leur côté qu’il faut espérer découvrir les nouvelles tendances musicales. Mais, finalement, est-ce qu’on ne s’en tape pas un peu ? En revanche on trouvera chez nos corbeaux une inspiration évidente, de vraies chansons et un savoir faire certain. Warpaint est un album au style homogène, cohérant et bien construit.
Il suffit d’écouter « There’s Gold in Them Hills », ballade furieusement sudiste, pour se laisser convaincre : Le sud n’est pas mort et ses valeureux guerriers, exhalent, avec Warpaint, tout son charme.